La polémique dont a été victime Didier Deschamps, accusé de racisme, est révélatrice d’une époque où la chasse au dirigeant, politique, économique ou sportif est devenue un sport national. Encouragé de surcroît par la loi.
L’Honneur d’un capitaine ». A la fin du film de Pierre Schoendoerffer, grave et sanglant comme la guerre d’Algérie, on découvre que le capitaine Caron, injustement accusé par un universitaire d’extrême gauche à une époque où les bonnes consciences étaient maoïstes, n’a pas exécuté et encore moins torturé ses prisonniers fellaghas. A défaut d’excuses, sa veuve recevra le franc symbolique.
A chaque époque ses Fouquier-Tinville. Combien de victoires faudra-t-il à l’équipe de France pour effacer l’injure faite au capitaine Didier Deschamps, devenu sélectionneur de l’équipe de France ? Le champion du monde (1998), champion d’Europe (2000), élu entraîneur français de l’année à deux reprises, capitaine de l’équipe de France à 52 reprises, serait, à en croire l’improbable Comité de salut public constitué par l’acteur Jamel Debbouze, l’ancien joueur Eric Cantona et le mauvais perdant Karim Benzema, « raciste ». Raciste comme peut-être les Bretons qui ont tagué à Concarneau sa maison avec cet adjectif infâmant, jugeant probablement que leur minorité visible était insuffisamment représentée dans l’équipe de France ?
Ce procès ignoble vient souligner les qualités exceptionnelles de leadership de Didier Deschamps dans la période trouble où nous vivons. La première de ces qualités ? La résilience. C’est le lot de tout dirigeant aujourd’hui, qu’il soit chef d’entreprise, leader politique, responsable religieux ou universitaire, d’être attaqué par le bas. D’être calomnié par des individus à visage découvert, ou couvert, en particulier dans le domaine économique. Signe des temps : ceux que l’on aurait appelé dans les années noires les « délateurs », sont aujourd’hui nos héros modernes. Les « lanceurs d’alerte » vont bientôt avoir un statut, grâce à la loi Sapin 2, actuellement débattue à l’Assemblée. Ce statut garantira au délateur l’anonymat, le mettra à l’abri de poursuites pénales, et, sur la suggestion du député et rapporteur, sans jeu de mots, Sébastien Denaja, permettra d’ « avancer [au délateur] les frais de justice contre les mesures de représailles faites par un employeur, en termes de rémunération ou de placardisation, par exemple ». Robespierre, la guillotine en moins.
Que fait Didier Deschamps, et que doivent faire les dirigeants, notamment économiques, dans un tel climat irrespirable, et un tel cadre juridique où l’injure, la délation et le soupçon, dès lors qu’ils vont du bas vers le haut, semblent en passe d’être protégés par la loi ? A moins de s’exiler : rien. Il faut encaisser sans broncher, et avancer. Faire son métier. Ignorer les tweets, les tags, l’emballement médiatique. Et, bientôt, judiciaire. « Feindre l’indifférence », pour reprendre les mots de François Mitterrand. Ce n’est pas donné à tout le monde. C’est la marque et le lot des vrais chefs.
Faire ensuite son métier de patron, malgré tout. Comme l’a parfaitement expliqué Mourad Boudjellal, président du Rugby Club Toulonnais, qui s’y connait en préjudices racistes subis, et en exploits sportifs construits : « Pour construire la meilleure équipe, il ne faut pas forcément prendre les meilleurs joueurs. ?[…] Le sélectionneur se retrouve face à un puzzle où il essaye d’avoir des pièces qui s’assemblent bien ensemble. Ca crée une équipe homogène qui peut gagner des titres ». Entre la star ingérable, individualiste, clivante, tirant la couverture à elle, et l’équipier travaillant pour le bien commun de l’entreprise, de l’équipe, ou du pays, le choix est vite fait. Le leadership d’une entreprise ou d’un pays exige cette approche : faire monter ceux qui voient plus loin que leur tout-à-l’ego. Ceux qui ont envie de faire gagner leur pays, dont ils se sentent partie prenante et chantent l’hymne national avant chaque match ; plutôt que ceux qui viennent pour prendre, faire un show, et s’en aller. Il faut pour faire ce tri du courage ; une insensibilité à la pression médiatique, aux effets de mode. Une capacité à trancher, à prendre la décision et s’y tenir ; ne jamais revenir dessus. Didier Deschamps a visiblement ces qualités.
La dernière, c’est l’autorité. Elle ne se décrète pas. Elle est souvent fondée sur un track-record – celui de Didier Deschamps est inégalable. Sur l’exemplarité et la légitimité : on ne s’improvise pas ministre ou chef d’entreprise ; il faut avoir fait ses classes avant, sinon l’organisme vous rejette. Reste le caractère. On dit le sien difficile. Pas vraiment dans le management consensuel ou participatif. Or il y a plusieurs types de meneurs d’hommes dans les entreprises ou les armées. Il y a les tribuns, les beaux parleurs. Ceux qui imposent le respect par leur stature ou la légende dont ils sont drapés, comme Zidane. Didier Deschamps a un autre leadership : il fait partager à ses équipes la rage de vaincre. Gagner à tout prix, calomnie incluse. Soulever une équipe comme le levain soulève la pâte. Déclencher cette furia francese qui fait que nous demeurons encore, malgré la CGT, malgré nos ennemis, malgré les futurs délateurs sanctifiés, malgré nos errements et la faiblesse de notre leadership politique, la cinquième puissance économique mondiale, et une puissance diplomatique de rang au moins équivalent.
L’indifférence aux attaques et aux injures. La capacité à créer l’unité nationale et à s’entourer des meilleurs équipiers – quitte à sacrifier les fauteurs de trouble égotistes. L’autorité que confère l’expérience des succès comme des échecs surmontés. La rage de vaincre, pour triompher de nos limites et de nos doutes. Il nous reste moins d’un an pour trouver un tel meneur pour le pays.