C’était un de ces rendez-vous auquel il fallait être exact à tout prix. Le patronat y a manqué pourtant en se bornant à parler de nécessité « impérative » de tenir compte d’un vote négatif sur le « say on pay » en assemblée générale sans aller jusqu’à inviter les conseils d’administration à le tenir pour contraignant. En quête de projet de gauche populaire dans l’opinion, le gouvernement n’a pas laissé passer l’occasion de promettre par la loi aux actionnaires le dernier mot en la matière. Le partage du pouvoir entre ceux-ci et les conseils en sera profondément modifié, au point que le moment est historique pour la gouvernance en France.
Peut-être le patronat a-t-il jugé que sur un point aussi décisif, il ne lui revenait pas de sauter le pas de lui-même et qu’il convenait de laisser le pouvoir politique prendre ses responsabilités. Si tel est le cas, il a eu tort. Dans un combat perdu d’avance, mieux vaut ne pas donner l’impression de le livrer à l’arrière-garde surtout si un enjeu supérieur, celui de l’autorégulation, ne doit pas être perdu de vue. Les divisions profondes en son sein sont sans doute au cœur de cette erreur de l’ensemble très hétéroclite Afep-Medef, qui met les dirigeants d’entreprises en porte-à-faux vis-à-vis de l’opinion. Ces divisions ne sont pas nouvelles et rebondissent régulièrement au sein du monde patronal. Les tenants d’un capitalisme d’entrepreneuriat, souvent à racine familiale, apprécient la modération s’agissant des rémunérations patronales directes, notamment au regard du multiple entre celles-ci et les salaires moyens dans l’entreprise. Mais une autre culture, plus managériale, très présente parmi les plus grands groupes cotés à l’actionnariat dispersé et plongés dans la compétition internationale, tend à fixer la rémunération non pas en fonction de critères socialement acceptables mais de ce que perçoivent les patrons des grands groupes anglo-saxons. Il est vrai que ce schéma souffre de nombreuses exceptions. Il n’en reste pas moins que ces deux approches dominantes coexistent et aboutissent à des niveaux de rémunération qui ont de moins en moins de commune mesure.
Si le patronat veut sauver ce qui lui reste d’influence en matière de gouvernance d’entreprise, il doit trancher résolument en faveur de la première approche. En optant pour le recours à des critères socialement responsables, il ne veillera pas seulement à donner satisfaction au monde, capital pour lui, des investisseurs professionnels, de plus en plus sensible à l’ISR et qui manifeste par ses votes en AG une irritation croissante ; il montrera surtout à l’opinion que l’entreprise se veut avant tout acteur dans la cité et non d’une globalisation déracinée et sans principe, et pour cela même détestée. La lutte contre la démagogie qui se nourrit de ce rejet et menace partout de submerger les sociétés occidentales est l’affaire de tous. Le patronat doit montrer par des choix sans ambiguïté qu’il entend y prendre toute sa part.
Philippe Mudry ,le 26 mai 2016 – L’AGEFI Hebdo