La 15e conférence internationale de gouvernance (CIG 2016) de l’AAIG (Association Académique Internationale de Gouvernance) qui s’est tenue les 17 et 18 mai 2016 à l’IAE de Montpellier a été l’occasion de débattre sur les nouveaux enjeux de la gouvernance d’entreprise. Les chercheurs en gouvernance sont au carrefour de plusieurs disciplines de management.
À l’origine, les recherches en gouvernance se sont principalement appuyées sur la théorie de l’agence (cf. la synthèse de Gérard Charreaux) et centrées sur la grande entreprise de type managérial, où la relation plus ou moins conflictuelle entre actionnaires et dirigeants est prééminente. Ces problématiques classiques ne sont pas figées, elles sont régulièrement revisitées et restent d’actualité, comme en témoigne l’étendue des sujets abordés lors la CIG 2016, mais aussi l’actualité récente (salaire de Carlos Ghosn, par exemple).
Un élargissement de la focale
Les recherches sur la gouvernance s’intéressent donc toujours au rôle du conseil d’administration, à l’impact des normes d’audit, aux modes de rémunération des dirigeants ou aux questions de levées de fonds des entreprises, mais aussi à l’articulation des relations de l’entreprise avec ses différents partenaires, aux nouvelles formes de gouvernance comme les coopératives, aux spécificités des entreprises familiales, aux questions de diversité dans la gouvernance (le genre, en particulier). La RSE est aussi très représentée dans les thèmes actuels de gouvernance.
Plus globalement, on constate depuis plusieurs années une évolution des théories de la gouvernance qui s’éloignent progressivement mais très nettement, d’une approche plutôt de type coercitif ou disciplinaire vers une approche beaucoup plus cognitive et comportementale. Lorsque l’on débat par exemple de l’impact de la diversité du conseil d’administration d’une entreprise, il s’agit bien d’étudier le rôle du conseil en termes de répertoire de connaissances et non pas en termes de contrôle. Les recherches en gouvernance ont ainsi évolué dans le temps, en intégrant notamment des fonctions de ressources et de connaissances et en s’intéressant à la dynamique de leur déploiement dans l’entreprise.
La digitalisation du réel
Cette trajectoire des travaux en gouvernance prend aujourd’hui une direction nouvelle. Un nouvel objet de gouvernance est apparu récemment, complexe à identifier, issu de ce que l’on pourrait nommer la « digitalisation du réel ». À travers le big data (plus ou moins big d’ailleurs), le traitement statistique (l’algorithme) devient un levier de gouvernance : il prédit, il guide l’action, voire il décide. Il peut le faire de manière quasi-autonome par apprentissage non supervisé. En même temps, un deuxième effet de cette digitalisation est un partage massif de l’information.
Ce nouvel objet – ou ces nouveaux objets – issus de la transformation numérique reposent tous sur l’information. C’est une des raisons pour lesquelles la recherche en gouvernance est particulièrement qualifiée pour mener ces réflexions. L’information est en effet l’enjeu majeur des questions de gouvernance, parce que c’est à partir de cette dernière que s’organise la décision, que s’exercent le pouvoir et l’action dans les entreprises ou plus généralement les organisations.
Les algorithmes et la connaissance
La vision proposée par la théorie de l’agence permet de l’expliquer et de cadrer ces enjeux. De manière simple, la relation d’agence peut être décrite à partir de l’exemple de la relation entre un patient et son médecin ou entre l’automobiliste et le mécanicien. Le patient délègue sa santé à son médecin car celui-ci est plus qualifié, il détient la connaissance pour effectuer la bonne analyse et prendre la bonne décision. Or, c’est bien tout un secteur ici qui est dynamité par la vague du big data et des algorithmes. Cette relation d’agence où la délégation est fondée sur la connaissance est en train d’être transformée par la puissance du big data et des algorithmes.
L’exemple de l’automobiliste et son mécanicien est lui aussi édifiant. Ici ce sont les plateformes qui dynamitent la relation, celles qui, à la manière d’Uber, commencent à se généraliser dans l’artisanat. Le comportement de l’agent (ici le mécanicien) est désormais observable, il fait l’objet d’un compte rendu et d’une évaluation par tous les utilisateurs.
Mais la production et le contrôle de cette information posent de nombreuses questions. La CIG 2016 a porté son attention sur ces nouveaux objets de gouvernance en consacrant sa conférence plénière à : « Gouvernance et gouvernementalité à l’heure du big data : quels enjeux pour les entreprises ? ». Deux chercheurs en management ont proposé une réflexion autour de deux thèmes, d’une part les plateformes et algorithmes et d’autre part, la blockchain.
Christophe Bénavent (Université Paris 10), dans son intervention intitulée « De l’économie collaborative au gouvernement algorithmique des plateformes » questionne le rôle d’intermédiation des plateformes et leur fonctionnement algorithmique, qui s’apparente à une « black box » (Frank Pasquale). Ces boîtes noires influencent de nombreuses activités : le crédit, la santé, l’assurance, la sécurité, l’agriculture, etc…
Jean-Fabrice Lebraty (Université Lyon 3) centre le débat sur la question de l’organisation, de la transparence et du partage de l’information. La technique de la blockchain en permet une décentralisation et une désintermédiation qui bouscule la logique centralisée du serveur propriétaire. La gouvernance de l’information devient alors partagée, en peer to peer, et elle authentifie par exemple des transactions ou encore des diplômes. J.F. Lebraty fait un point sur cette technologie et son impact en matière de gouvernance d’entreprise.
Le 4 juillet 2016, par Véronique Bessière et Éric Stéphany