Le rapporteur du projet de loi Sapin 2 a déposé des amendements pour rendre contraignant le vote des assemblées générales d’actionnaires.
Pour les salaires des patrons il y aura, sans doute, en France un avant et un après l’affaire Carlos Ghosn. Les menaces, la semaine passée, de François Hollande, puis de Manuel Valls, d’une mesure législative encadrant les rémunérations des dirigeants sont devenues très concrètes. Le député PS Sébastien Denaja, rapporteur du projet de loi Sapin 2, a déposé des amendements pour rendre contraignant le vote de l’assemblée générale (AG) des actionnaires sur les rémunérations des patrons. Il est soutenu par le groupe socialiste et aussi par Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics, qui, auditionné mardi à l’Assemblée, a déclaré : « S’agissant des questions relatives au droit des sociétés, certains d’entre vous souhaitent enrichir le projet de loi pour rendre contraignantes les décisions des actionnaires en matière de rémunération. Je m’en félicite. »
Rendre contraignant le vote des actionnaires reviendra à réécrire le droit des sociétés en donnant plus de pouvoir à l’AG, au détriment du conseil d’administration. Une conséquence assumée par le député. « Nous considérons que l’actionnaire est le propriétaire de l’entreprise. Nous voulons redonner ses lettres de noblesse à un capitalisme entrepreneurial. L’assemblée est un lieu de démocratie ; le conseil, de l’oligarchie », a expliqué Sébastien Denaja. Des propos en réponse à ceux de Pierre Gattaz, président du Medef, de vendredi dernier : « L’AG n’est pas un parlement, elle n’a pas le droit d’amendement, son vote n’est pas exécutoire. » Afep et Medef avaient alors proposé que le vote de l’AG ne soit plus seulement consultatif mais « impératif », un concept inconnu en gouvernance, mais qui signifiait que le conseil d’administration devait absolument tenir compte de ce vote. Les conséquences d’un « non » risquaient de différer. « Là, si le conseil d’administration s’affranchit de la décision de l’AG, ce sera au juge de trancher », a souligné Sébastien Denaja.
D’autres socialistes ont élevé la voix sur ce sujet. Selon « Libération », Karine Berger, une des premières signataires de « L’appel des 40 au CAC 40 », demandant la limitation à 100 SMIC du salaire des patrons, aurait proposé un amendement dans le cadre de la loi Sapin 2, pour limiter le variable au salaire fixe. Pour des avocats en droit des affaires, juridiquement, tout plafonnement pourrait se heurter à un refus du Conseil d’Etat, car contraire à la liberté privée d’entreprendre. Des traders ont certes vu leur bonus plafonné à deux ans de fixe, mais, dans les banques, il y a un risque systémique, qui peut aller contre l’intérêt général. Ce n’est pas le cas dans d’autres secteurs.
Cadre juridique incertain
Sur le papier, rendre contraignant un vote d’AG est possible. Cela revient à élargir les pouvoirs des actionnaires et techniquement à modifier le Code de commerce. Mais dans les faits, comment remettre en cause un package promis à un dirigeant par des administrateurs ? Les avocats craignent les conséquences d’un cadre juridique aussi incertain. Comment attirer un dirigeant étranger ou même garder un Français si ses émoluments peuvent être annulés ensuite ? « De plus en plus de dirigeants vont consulter pour savoir comment s’expatrier ou comment transformer une société en société européenne », assure un avocat en droit des sociétés. Cela met, au tout premier plan, la question de l’attractivité de l’Hexagone.
Ce n’est pas tout. La France se démarquerait en étant le seul pays de l’Union européenne à rendre contraignant un vote sur le salaire d’un patron ex post. Au Royaume-Uni, pionnier dans le « say on pay » dès 2002, les actionnaires votent bien de manière contraignante mais sur la politique de rémunération future. Même en Suisse, champion du monde de la gouvernance depuis 2013 après l’initiative populaire contre les salaires abusifs, le vote est contraignant (ex ante) sur la rémunération totale (soit une enveloppe) des membres du comité de direction et des administrateurs. En outre, les Helvètes se prononcent de manière consultative sur le rapport de rémunération. En Allemagne, l’avis des actionnaires est consultatif, mais ce vote figure dans la loi. Enfin, l’Europe va se doter d’une directive européenne sur le droit des actionnaires. Le texte adopté par le Parlement européen est très proche du système anglais. Pas de vote contraignant ex post. Le Conseil européen n’a pas encore tranché.
Laurence Boisseau, Les Echos
@boisseaul