Par Philippe Pinault cofondateur and PDG talkSpirit & holaSpirit.
Entrepreneur depuis près de 20 ans, dans l’industrie web, aujourd’hui impliqué dans le développement de talkSpirit et holaSpirit, j’ai été le témoin privilégié de l’impact d’Internet sur nos façons de travailler. En 2014, j’ai décidé d’engager talkSpirit dans une démarche de “libération” en adoptant Holacracy comme nouvel outil de gouvernance. Depuis 2 ans, je fais ce voyage vers un nouveau “monde” (du travail) qui m’apparaît de plus en plus clair. Cette note et les suivantes que je publierai sur cette thématique a pour objectif de partager avec vous mes réflexions et apprentissages et les éprouver à vos questions et observations.
Vous lisez et entendez de plus en plus parler d’entreprise libérée et vous demandez peut-être ce qui se cache derrière cette expression.
Libérer quoi ? Pourquoi et pour quoi faire ?
Avant de parler d’entreprise libérée, on peut se demander légitimement pourquoi et pour quoi faire ?
Dans ce nouveau monde, les organisations les plus performantes sont des écosystèmes en réseau qui échangent constamment des informations (de la data) et communiquent avec d’autres écosystèmes. Ces interactions contribuent à rendre ces systèmes autonomes plus intelligents, capables de trouver plus rapidement de nouvelles réponses aux problématiques qu’ils rencontrent. Au fur et à mesure que sautent de nouveaux verrous technologiques, ces écosystèmes accèdent à de nouvelles capacités qui leur permet d’accélérer encore. Cette accélération rapide et brutale met à l’épreuve la plupart des organisations. S’adapter ou disparaître est une réalité qui s’applique à tous.
Dans ce nouveau monde, je pense que la question de la raison d’être va devenir essentielle. Elle donne cette direction essentielle qui guide l’intelligence vers une finalité. C’est l’objet d’une note précédente où j’observe que la raison d’être profonde de votre organisation sera un élément fort de différenciation demain aussi bien pour vos clients que pour vos collaborateurs.
Aussi, une fois ces éléments de contexte posés, libérer l’entreprise, c’est créer les conditions les plus favorables pour la réalisation de la raison d’être profonde de votre organisation.
Libérer l’entreprise, c’est libérer l’intelligence, libérer la créativité, libérer la capacité d’initiative, permettre qu’ 1+1 fasse 3 voire 4 ou 5.
Libérer l’entreprise, c’est favoriser le leadership, libérer vos collaborateurs des contraintes qui freinent leur capacité à servir au mieux les rôles qu’ils remplissent au service de la vision ou de la raison d’être de votre organisation.
Un nouveau paradigme
A travers mon expérience personnelle, j’ai pu constater qu’elle nécessite un changement de paradigme dans au moins 2 domaines : 1. la gouvernance, le management et 2. le partage d’information, la communication. Un changement de paradigme car il ne s’agit pas simplement d’une évolution du système présent mais bien d’une nouvelle façon d’aborder la façon dont nous travaillons ensemble, qui rendra progressivement l’ancienne obsolète.
1. La gouvernance, le management
Libérer l’entreprise dans ce domaine, c’est passer d’une logique de subordination de personne à une logique de plus grande autonomie, passer d’une gouvernance conçue pour des organisations centrées sur des besoins de production à grande échelle à un système conçu pour des organisations en réseau, complexes, dans un environnement qui change à toute vitesse et qui requiert une capacité d’adaptation accrue.
Libérer l’entreprise en matière de gouvernance, c’est passer d’une logique où l’on subit (son chef et ses émotions) à une logique où l’autorité appartient à celui qui fait. C’est passer d’un mode prévision-commande-contrôle où la tête de l’organisation décide pour les autres à un mode dynamique de gestion, qui s’appuie sur la capacité de chacun à prendre les meilleures décisions dans les domaines qui sont les siens.
Libérer l’entreprise, c’est passer d’un environnement toxique, dans lequel les jeux de pouvoir et la politique sont les règles implicites pour faire le job, où les égos et les émotions gouvernent, à un environnement où vous mettez votre énergie uniquement dans les actions requises par vos rôles, guidées par la raison d’être de ces rôles que vous servez au service d’une raison d’être plus grande à laquelle vous contribuez. Libérer l’entreprise, c’est libérer vos collaborateurs du triangle dramatique pour replacer la relation dans un cadre adulte et sain comme il existe le plus souvent dans les projets menés en dehors des organisations. Libérer l’entreprise, c’est permettre à vos collaborateurs d’être réellement eux même pour mettre leur intelligence et leurs talents au service du projet collectif. Libérer l’entreprise, c’est donner à chacun la capacité d’agir et d’impacter sur les ressources qui lui sont nécessaires pour mettre son énergie et son intelligence au service d’un tout plus grand en résonance avec sa raison d’être individuelle.
Le passage d’un mode de management à un autre n’est pas chose aisée car il s’agit d’un changement de logiciel “mental” où les mots confiance, autonomie, intelligence apparaissent dans la relation à l’autre. Réellement. Concrètement et dans toutes les actions.
Les entreprises libérées connaissent les difficultés de ce changement de paradigme tant les organisations ont été habitués à gouverner à travers des logiques de pouvoir / brutalité, de rôles joués au sens de masques portés et de politique / manipulation. Des outils existent pour faciliter le passage à ce nouveau paradigme et Holacracy est à mon sens l’outil le plus performant pour effectuer ce shift. J’y reviendrai.
2. Le partage d’informations et la communication
L’information est le carburant de l’intelligence. L’intelligence requiert la compréhension d’un environnement (interne / externe) pour identifier les meilleures opportunités d’actions.
Libérer l’entreprise, c’est passer d’une information difficile d’accès (réservée, en silo) à une information disponible, facile d’accès, qui irrigue votre organisation. Libérer l’entreprise, c’est passer d’un mode où l’information est subie (email, intranet) à une information choisie, utile à la mission de chacun. C’est accepter de retirer les œillères pour permettre d’avoir les yeux grands ouverts sur le monde. Pour ceux qui gouvernaient, c’est accepter de voir, ce qui auparavant était masqué ou caché, transformé ou déformé. Libérer l’entreprise, c’est accepter de voir le monde tel qu’il est, tant en interne qu’en externe, et donc mettre en oeuvre les outils nécessaires à sa compréhension. Libérer l’entreprise, c’est faciliter l’accès à l’information et faciliter le partage d’information toutes deux nécessaires à une bonne synchronisation des équipes. Associé à des fonctions de conversation et de communication, ces outils favorisent la prise d’initiative, accélère la prise de décision, réduit le risque d’erreur. Si le digital devient un enjeu stratégique aujourd’hui c’est tout simplement parce qu’il est le vecteur de ces informations. Libérer l’entreprise c’est passer de ce monde où l’information était contrôlée et réservée, diffusée de façon partielle dans un temps plus ou moins long à une entreprise adulte où l’information circule en temps réel où le digital et le numérique ne sont plus un sujet car ils irriguent tout, où la collaboration, la discussion et les conversations sur ces informations sont une pratique naturelle, pour guider chaque collaborateur dans ses prises de décision.
C’est avec cette compréhension des choses que nous avons décidé de pivoter talkSpirit en 2015 pour offrir aux équipes et aux organisations une plateforme de partage d’informations et de communication capable de soutenir ce contexte. Je referme cette parenthèse.
Libérer l’entreprise, c’est enfin mettre de la clarté à son environnement interne, sur sa gouvernance, sur “qui fait quoi”. C’est accepter d’abandonner un système d’étiquettes associées au pouvoir que vous avez sur les autres à une clarification des rôles que vous remplissez au sein de l’organisation. Libérer l’entreprise, c’est mettre de la clarté sur ce qui est, ce qui est réellement, c’est rendre l’implicite explicite, c’est se donner l’opportunité d’identifier plus facilement ce qui pourrait être mieux. C’est permettre d’y voir clair, clair sur ce qui est à faire, clair sur les rôles que l’on à remplir, clair sur leur raison d’être, clair sur les périmètres de décision associés. On ne va jamais aussi vite que lorsque la route est claire.
Le changement de paradigme lié à la gouvernance d’une part, à la diffusion et l’accès des informations d’autre part sont certainement les 2 domaines dans lesquels les changements sont les plus visibles.
Ce que l’entreprise libérée n’est pas
Terme à la mode, l’entreprise libérée alimente aujourd’hui beaucoup de débats et véhicule de nombreuses fausses idées. D’abord de ceux qui font le raccourci rapide qu’il s’agit de “donner les clefs de l’organisation à ses salariés, supprimer le management et roule…”. Ensuite de ceux qui se revendiquent être une organisation libérée avec la même objectivité que leurs prospectus publicitaires.
Une entreprise libérée, ce n’est pas l’absence de hiérarchie, l’absence de règles, l’absence de procédures, l’absence de management, … Libérer l’entreprise, c’est envisager les choses de façon différente. C’est s’ouvrir à de nouvelles capacités qui s’ajoutent à l’environnement existant et rendent progressivement tout un ensemble d’anciennes pratiques obsolètes.
D’une hiérarchie basée sur le contrôle du pouvoir, la subordination des uns sur les autres, l’organisation adopte une hiérarchie basée sur les rôles à remplir guidés par leur raison d’être et redevables les uns par rapport aux autres. L’holarchie est certainement le modèle organisationnel qui convient le mieux pour gouverner un système complexe, dynamique. Est-ce un hasard si les espèces vivantes sont elles mêmes des holarchies ?
D’un système de règles guidées le plus souvent par la défiance, l’anticipation (le fameux “et si….”) ou créées simplement pour une minorité, l’organisation adopte de nouvelles règles. Parmi ces règles, celles qui définissent sa culture interne, son système de valeurs, sont certainement les règles les plus importantes pour les organisations qui visent un projet ambitieux.
De procédures rigides, parfois éloignées de la réalité opérationnelle de l’environnement dans lequel elles s’appliquent, souvent lentes à s’adapter aux évolutions requises par l’environnement, l’organisation se dote de procédures dynamiques, évolutives intégrant de façon plus intelligente le contexte dans lequel elles s’appliquent.
Globalement, les détracteurs de l’entreprise libérée oublient le plus souvent qu’il y a d’autant plus de liberté qu’il existe un cadre clair pour l’exprimer. Mon expérience personnelle est que l’entreprise libérée s’accompagne d’une exigence de performance et de qualité plus élevées. Plus exactement que cette exigence est directement liée au plus haut niveau d’exigence de vos collaborateurs. Libérer son entreprise, c’est adopter un nivellement vers le haut.
Enfin, l’entreprise libérée n’est pas une finalité, c’est un moyen de réaliser la raison d’être de votre organisation adaptée au contexte de notre monde actuel.
Larguer les amarres
Libérer son entreprise, c’est prendre la décision de faire un voyage vers un nouveau monde qui vous donnera accès à de nouvelles capacités inimaginables dans le monde conventionnel actuel. Je comprends les doutes et les suspicions de la plupart des dirigeants avec qui j’en parle. De la même façon qu’il était inimaginable de concevoir le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui à l’heure où Internet n’existait pas, il est tout aussi impossible de concevoir ce qu’est le monde des organisations dotés d’une nouvelle technologie sociale.
Accéder à ces nouvelles capacités passent nécessairement par la capacité des dirigeants à libérer et mobiliser l’intelligence collective de l’organisation pour en faire un levier extraordinaire au service de la raison d’être de l’organisation.
Si vous êtes dirigeant d’une organisation, il vous appartient d’appuyer sur le bouton qui transforme des additions en multiplications.
Comme pour tout voyage, il y a à un moment ou un autre le moment où il convient de lâcher les amarres et engager votre équipe dans une aventure humaine dont chacun sortira transformé.
Si la perspective de « lâcher prise » peut apparaître risquée, ma compréhension est qu’il est encore plus risqué de ne rien faire et qu’il est de toute façon impossible de développer une raison d’être ambitieuse, ayant un impact sur le monde, sans entrer pleinement dans ce nouveau paradigme.
Soyez pourtant rassuré, si le voyage est long, certainement 3 à 5 ans, il vous réserve de belles surprises en chemin. Ils seront autant de signaux qui vous montrent que vous êtes sur la bonne voie.
Parmi les bénéfices que j’ai pu observer : le soulagement de ne plus être celui qui décide sur des domaines et sujets qui m’étaient éloignés et parfois inconnus (la solitude du dirigeant), la satisfaction de pouvoir mettre mes talents au service des missions dans lesquelles je peux mettre le plus de valeur, l’émerveillement devant ce qu’une équipe “libérée” est capable de réaliser lorsque la raison d’être est claire, lorsque l’environnement est sain et lorsque les outils adaptés à l’exercice de l’intelligence collective sont en place.
Par Les Experts, le 23 juin 2016